Prendre le temps de prendre le thé

À 28 ans, je ne peux refuser l’invitation d’aller me geler le cul et d’apprendre des Polonais, les meilleurs spécialistes des hivernales en Himalaya, en tentant « The first winter k2 expedition 1987-88 » au Pakistan. De 1980 à 1988, ils réussirent la première hivernale de 9 des 14 sommets de plus de 8000m. C’est d’ailleurs Cichy et Wielicki, qui avaient réussi l’Everest en 1980, qui établiront le camp 3 sur le K2 à 7300m avec nous; marque qui tiendra presque 30 ans avant que la première ascension hivernale soit magistralement réussie par 10 Népalais en 2021.
Réalistement je sais bien que mes chances de me tenir au sommet du K2, en hiver, sont minces. Mais je me vois grimpant sur l’Arête des Abruzzes, piolets en mains, crampons aux pieds, lunettes de soleil sur le nez et crème solaire au visage.
Ce ne sera pas ça du tout … ;-) La météo est vraiment exécrable, des vents épouvantables; sur un siège de 75 jours au pied du K2, nous ne voyons pas plus de 10 jours de beau temps et jamais plus de 3 de suite.
En plus d’avoir acquis l’assurance que je peux passer un hiver entier dehors dans des conditions hyper rigoureuses à 5135m ou plus; je garde surtout le souvenir d’une ahurissante incursion à Darra, près de la frontière afghane, avec mon ami JiPi.
Dans un décor de Lucky Luke, de chaque côté d’une rue principale en terre et au-dessus de trottoirs en bois, se dressent des longues rangées de commerces avec des affiches, peintes à la main, de dessins quasi enfantins de Kalachnikov, Beretta, Uzi, Bazooka (pas la gomme balloune) sur les frontons des fabriques d’armes du marché noir en zone tribale. Nous sommes les deux seuls étrangers à boire des douzaines de thés avec des marchands d’armes et des moudjahidines afghans qui testent leurs achats en tirant au ciel et sont curieux de rencontrer deux alpinistes. Le soir, on rentre sur le toit d’un autobus bondé qui s’arrête et se vide au soleil couchant, le temps d’une prière.

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