Le Rêve Éveillé? Ou être débrouillard?

Depuis que je suis jeune, je m’accorde le droit de rêver… éveillé, d’imaginer ma vie comme je la veux, la plus belle possible, sans restriction ni contrainte, jusqu’à un niveau de détail très précis. Par exemple, je rêvais de grimper à Chamonix. Mais à l’hiver 1984, je n’en ai pas les moyens; donc j’imagine vivre chez des amis (que je n’ai pas encore) à Chamonix et me déplacer avec une vieille moto antique (pas cher, qui a de la gueule mais que je n’ai pas plus). Puis, par un heureux hasard, je me lie d’amitié avec un groupe de trois forts italiens, venus grimper au Canada, en partageant avec eux pleins de bons tuyaux et contacts de ma saison de glace 1983 dans les Rocheuses
Ils reviennent enchantés et Gian-Carlo Grassi m’invite chez lui. Peu de temps après, la Fédération Québécoise de la Montagne reçoit une invitation de l’École Nationale de Ski et d’Alpinisme pour envoyer deux délégués du Québec (je suis l'un d'eux) à un Rassemblement d’Alpinisme de haut niveau, toutes dépenses payées, pendant deux semaines à Chamonix.
Sur ce, j’achète mes billets d’avion pour 3 mois en Europe. Je demeure chez Gian-Carlo et Nicole les six premières semaines. Nous ouvrons plusieurs nouvelles voies en rocher et 3 longues goulottes alpines. Un jour, nous sommes à Torino; dans le grand garage de son ami mécanicien, Rumbo. Je comprends un peu l’italien, mais je le parle à peine; et après 10 minutes à les écouter parler, je m’écarte doucement pour explorer le garage… Et dans un coin, je trouve une magnifique Aermachi 1964 orange brûlée un peu comme celle de Tintin. « Rumbo? C’est quoi cette moto? Serait-elle à vendre? » « Elle est à toi pour $300! »
C’est au volant de ma moto, avec un large sourire béat, que je vais à Chamonix pour y grimper deux semaines avant le Rassemblement. Je loge dans un gîte pas cher, je fais mes approches avec ma moto que j’enchaîne dans la forêt, à l’abri des regards; monte à pied au refuge pour éviter les coûts de téléphérique et je grimpe en solo des faces nord (Tour Ronde, Couloir Couturier à la Verte, Lachenal-Contamine au Triolet). Mon meilleur souvenir est quand Petri, le Finlandais avec qui je suis encordé, me lance: « Let’s do somme heavy cruising ! » et nous dépassons une douzaine de cordées dans les 13 longueurs de la voie Vaucher-Contamine à l’Aiguille du Peigne!
Depuis je ne cesse de rêver et d’appliquer le Rêve Éveillé.

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